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Accueillir une victime en milieu festif

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Accueillir une victime, ce n’est pas une procédure. C’est un réflexe humain. Ça devrait être aussi évident que savoir faire un massage cardiaque. Parce qu’un mot de travers, un silence mal placé, ou juste de l’indifférence, ça peut casser quelqu’un encore plus qu’avant. Tout le monde devrait savoir comment réagir quand une personne dit « j’ai subi une agression ». Ce n’est pas une affaire de pros, c’est une affaire de société.

Accueillir, c’est offrir les meilleures conditions possibles pour que la personne puisse parler librement, à son rythme, sans peur d’être jugée. C’est lui permettre de retrouver un peu de contrôle sur quelque chose qui vient de lui être arraché. C’est la respecter, simplement, et être là, vraiment là. Pas en mode sauveur, pas en mode gestionnaire. Juste humain·e.

Exemples vécus en milieu festif

J’ai eu à le faire des dizaines de fois, sur des festivals, parfois dans le chaos. Une des situations les plus dures : une personne racisée, venue me voir en pleine nuit. Elle voulait partir. Elle n’en pouvait plus. J’étais rincé, vidé, j’avais passé une journée infernale à rattraper les erreurs d’une orga qui voulait surtout qu’on ne voie rien. Je l’ai d’abord repoussée. Puis elle a insisté. J’ai compris. Elle avait été harcelée, insultée, battue par des néonazis, sous les yeux de son·sa compagnon·ne qui n’avait rien pu faire. Les types étaient là depuis des jours, toléré·es par un festival irresponsable que l’on ne nommera plus. Cette nuit-là, j’ai pris le temps. On a parlé longtemps. On a pleuré. On s’est serré·es dans les bras. Et iel est parti·e avec un sourire tremblant, mais un peu en paix.

Une autre fois, une personne agressée dans la fosse. Choc total, panique, honte. On l’a isolé·e, calmé·e, on lui a expliqué ce qu’on faisait, où on en était. Iel a parlé, beaucoup, et à la fin, iel a voulu porter plainte. L’organisateur est venu la voir, il l’a regardé·e dans les yeux et lui a dit qu’il la soutiendrait quoi qu’iel décide. C’est ça, un accueil réussi : qu’iel reparte en se sentant respecté·e et cru·e.

Et puis il y a les ratés, ceux qui te foutent la rage. Une victime de soumission chimique, perdue, désorientée, qu’on trimballe de stand en stand, rejeté·e par la sécurité, ignoré·e par la prévention. Une brochure féministe tendue à la place d’une aide réelle. Résultat : aucune prise en charge, aucun suivi, aucune confiance. C’est un échec collectif. Et dans ce genre d’échec, tout le monde est responsable.

Erreurs fréquentes en prévention

Les erreurs, on les connaît : des bénévoles pas formé·es qu’on met sur des situations qu’iels ne peuvent pas gérer. Ce n’est pas leur faute, souvent iels veulent juste aider. Mais c’est dangereux. Pour elleux, pour la victime, pour tout le monde. La confidentialité oubliée, les safe zones inexistantes ou mal placées, les stands qui ferment à 23 h parce que « faut bien profiter un peu » : c’est du grand n’importe quoi. Quand on prétend faire de la prévention, on reste jusqu’au bout. Sinon, on reste à la maison.

Écouter, c’est la base

Écouter, ça veut dire vraiment écouter. Pas poser des questions, pas interrompre, pas chercher à comprendre trop vite. Le silence, c’est aussi de la parole. Les hésitations, les phrases qui partent ailleurs, les détours : tout compte. Parfois, la personne teste. Iel veut voir si vous êtes sincère, si vous tenez la distance, si vous êtes vraiment là. Il faut être présent·e à 100 %, sans jugement, sans surprise, sans laisser transparaître quoi que ce soit qui pourrait la refermer. Certain·es parlent en dessinant, d’autres avec des fidgets, d’autres encore s’arrêtent dix fois. C’est normal. Vous êtes un·e inconnu·e, et vous touchez à quelque chose de brûlant.

On n’insiste jamais. Jamais. On peut proposer du calme, du repos, la présence d’un·e ami·e, d’un·e proche, ou un accompagnement médical. Si iel est trop choqué·e, on appelle la Protection Civile, on la confie à une cellule psy. Et si iel ne veut rien, on reste là, on veille. Parce que parfois, c’est déjà beaucoup.

Particularités du milieu festif

En milieu festif, c’est toujours plus compliqué. Le bruit, la foule, les substances, les émotions qui débordent. Impossible d’avoir une vraie parole au milieu d’un concert. Il faut prévoir les lieux, penser les espaces. Une safe zone bien placée, protégée du vacarme, reliée à la sécurité et à la santé. Et quand la victime est sous l’emprise de l’alcool ou d’autres produits, on ne cherche pas à tout faire de suite. On la protège d’abord. Le reste viendra après.

Mais la fête, c’est aussi ça : du monde, des regards, des témoins. Des gens qui voient, qui s’inquiètent, qui préviennent. C’est là que la prévention prend tout son sens. Chez Eclipshead, on dit souvent « la prévention, c’est vous ». Les festivaliers et festivalières sont nos yeux. Si iels se protègent entre elleux, s’iels signalent, s’iels prennent soin des autres, tout change. Ce serait une belle utopie, mais c’est une utopie qui vaut le coup d’être visée.

Formation et limites des intervenant·es

Avant chaque événement, je sensibilise celleux qui veulent : orga, sécurité, bénévoles, publics. J’explique quoi faire, quoi éviter, comment respecter le consentement, comment demander sans imposer, comment proposer une safe zone. Mais je garde toujours une limite claire : je ne confie jamais l’accueil d’une victime à quelqu’un·e de non formé·e. C’est trop lourd, trop risqué, trop fragile. Mon rôle, c’est de le faire, d’écouter, de relier les bons acteur·rices, d’assurer la cohérence entre la prévention, la sécurité et la santé.

Accueillir une victime : un acte humain et politique

Accueillir une victime, ce n’est pas un acte politique. C’est un acte humain. Femme, homme, queer, racisé·e, peu importe. Ce qui compte, c’est la personne et ce qu’iel vient de vivre. Mais faire de la prévention, oui, c’est politique. Parce que c’est dire qu’on est là, qu’on veille, qu’on ne fermera pas les yeux. C’est une façon calme mais ferme de dire aux agresseurs : « Pas ici. Pas ce soir. »

Accueillir une victime, c’est une forme de résistance. Une résistance douce, enracinée dans la dignité. C’est choisir d’écouter quand tout le monde fait la fête. C’est refuser de détourner le regard. Et c’est, peut-être, la seule chose vraiment juste à faire.

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