J’ai commencé à écouter du metal à 11 ans, avec la sortie du Black Album de Metallica, puis Use Your Illusion I & II des Guns N’ Roses, avant de me prendre Nirvana en pleine tronche. À cette époque, en France, si t’étais pas à Paris (et j’étais pas à Paris), il fallait vraiment chercher dans les sous-sols de vieux rades qui chlinguaient la pisse et le vomi pour trouver un concert. On héritait encore du punk et de toutes ces belles valeurs, on se sentait libres, on fumait des pétards en faisant du air guitar, les cheveux pas lavés depuis plusieurs jours, les fringues déchirées, des t-shirts Che Guevara, persuadés qu’on allait changer le monde, qu’on allait tout foutre en l’air pour reconstruire quelque chose de vrai.
C’était ça, le metal à cette époque : une vague de liberté et de créativité, une claque dans la gueule de toute une génération dégoulinante de cuir et de groupies, de rockstars arrogantes et misogynes qui croyaient être des dieux. On voulait de l’authenticité, de la sincérité, du vrai. On copiait nos cassettes, on se faisait nos compils à la main, on se passait les trucs sous le manteau, on avait le choix. On pouvait dégager les vieilleries et faire place à quelque chose de neuf. C’était la promesse d’un nouveau monde, d’un renouveau artistique et humain, et moi j’y ai cru.
L’esprit Nirvana et les valeurs perdues
Nirvana, c’est l’exemple parfait de cette transition, entre les 80s et les 90s. Un son nouveau, brut, mais construit sur les bases punk. Et un discours sans tabou. Ce n’est pas toujours connu, mais Nirvana était clairement engagé pro-LGBT, féministe, avec un rejet total et sans complaisance de toute forme de discrimination. Les morceaux Polly et Rape Me sont un diptyque sur le viol : l’un dans la peau de l’agresseur, l’autre dans celle de la victime. Ces morceaux passaient en boucle à la radio, et à chaque fois qu’ils étaient joués en live, Cobain les dédiait aux victimes, et en profitait pour sensibiliser le public.
« I am not gay, although I wish I were, just to piss off homophobes. », cette phrase, typiquement Cobain : provocante et profondément juste. Lors d’un festival au Brésil en 1992, devant près de 60 000 personnes, il a refusé de chanter les paroles originales des chansons, les remplaçant par des phrases et des bruits absurdes, juste pour protester contre le fait qu’un groupe féminin ait été sifflé avant eux, qu’il dénoncera plus tard comme » L’un des pires trucs que je n’aie jamais vus de ma vie. Un sexisme de masse « . Ce genre d’acte, c’est tout ce qui manque aujourd’hui. Nirvana, c’était l’authenticité incarnée, jusqu’à la mort de Cobain, broyé par le système qu’il refusait de servir.
Le metal dans les festivals
À cette époque, le metal était encore présent dans les festivals mainstream. Moi, j’ai été biberonné aux Eurockéennes de Belfort, que j’ai faits quatre ou cinq fois entre 1995 et 2001, et il y avait toujours des groupes de metal : Slayer, Sepultura, Deftones, Incubus, Rage Against the Machine, Loudblast, Silverchair… C’était normal. Aujourd’hui, quand un groupe de metal est programmé dans un festival grand public, c’est un putain d’événement. Peut-être parce que les valeurs ne sont plus les mêmes, peut-être parce que les programmateurs ne veulent plus se coller l’étiquette d’un milieu qui s’enfonce dans le déni, la violence et la bêtise.
Et il faut le dire aussi : les cachets n’ont plus rien à voir. Le metal, pendant longtemps, a été à l’abri des montants absurdes. Nirvana encore : quand une présentatrice MTV explique que Madonna fait payer 50 dollars ses concerts, Cobain s’énerve et dit : « Voir Nirvana, c’est 17 dollars. » Aujourd’hui, tu as des groupes qui réclament des millions pour 90 minutes de show, parfois en playback partiel, ultra carré, clinique, sans surprise. Le pire, c’est ces groupes sans album, qui exigent cinq chiffres pour un set de 45 minutes. Tout est monétisé. On a transformé une idée en business.
Le basculement, c’est là. Quand le metal, ce truc libre et bordélique, est devenu un produit. On voulait tous qu’il soit reconnu, respecté, légitime. On s’est battus pour ça. Moi le premier, j’ai défendu ce style bec et ongles. Et puis c’est arrivé : les fleuves de cash, les plans business, les marques, les structures qui sont devenues tout ce qu’elles combattaient. Comme un punk devenu banquier.
Le Hellfest en est l’exemple parfait : parti d’une base bon enfant, de fun, de bière et de musique saturée, c’est devenu un produit de luxe. Si t’as pas le salaire de Rachida Dati, tu rentres pas. Ou alors tu te saignes, tu sacrifies tout pour un week-end, ton seul contact avec le monde extérieur avant de retourner bosser pour te payer la même dose l’année suivante. Voilà où on en est. Et toute la belle promesse de départ, tu peux te la carrer où je pense.
La première discrimination du metal, c’est la discrimination économique. Pendant longtemps, je pouvais me la péter en disant que j’avais payé 20 balles pour voir mes groupes préférés, en me moquant des potes qui allaient raquer 500 balles pour Dua Lipa. Eh ben maintenant, je peux plus. Je préfère donner à manger à mes gosses. Je ne mettrai jamais plus de 35 euros dans un concert, et je trouve déjà ça indécent.
Et puis il y a les autres discriminations, celles qu’on tait. Le metal a un retard total sur les problématiques sociétales. Pendant longtemps, on nous a vendu une image de communauté soudée, bienveillante, antiraciste, antifasciste… Bullshit. En 2025, les festivals metal sont les plus dangereux, physiquement et idéologiquement. C’est devenu le refuge des extrémistes de tout bord, surtout d’extrême droite. Et ça, c’est aussi la faute d’une complaisance générale, parfois volontaire, parfois par lâcheté.
Figures et symboles du déni
Lemmy Kilmister est devenu une icône christique du metal, glorifié partout, son visage imprimé sur des mugs, des t-shirts vendus chez H&M. C’est censé représenter l’attitude “true metal”. Sauf que ce type collectionnait les objets du Troisième Reich. Alors ouais, on peut comprendre la fascination historique, mais entre “intérêt pour l’histoire” et “fierté d’avoir des uniformes SS à la maison”, y’a un putain de gouffre. Et pourtant, tout le monde le vénère. C’est dire le niveau de réflexion du milieu.
Cobain et Lemmy, c’est les deux faces d’une même pièce, mais ils symbolisent tout ce que le metal aurait pu être… et ce qu’il est devenu. L’un incarnait la remise en question, la sincérité, le féminisme, le refus du système. L’autre, la complaisance, le culte du mythe, la fascination morbide pour le pouvoir. Et le pire, c’est que beaucoup les aiment tous les deux sans se poser de question. Schizophrénie.
Expérience personnelle et terrain
Je suis blacklisté du Motocultor et du Hellfest parce que j’ai osé les critiquer. Pas en troll, pas par haine, mais preuves à l’appui, sources en main. Et en face, rien. Silence. On m’a fermé les portes. Je me suis auto-blacklisté d’autres festivals, comme le Ar’ Vran Fest ou le Tyrant Fest, qui laissent entrer les néonazis en détournant les yeux pour éviter les pertes financières. Je continuerai à dénoncer ces gens-là.. Le Sidfest, le Kreiz Y Fest, le Furios Fest, pareil : je refuse d’y aller, ils programment des agresseurs. Et je continuerai à dénoncer ces gens-là. Le Motocultor, c’est une blague. J’y ai bossé, j’ai vu, j’ai entendu. Tout le monde sait. Tout le monde ferme sa gueule. Et malgré ça, ils ont été nommés “Événement de l’année” aux Foudres du Metal. Une vaste blague, un doigt d’honneur à tous ceux qui essaient encore de croire à des valeurs.
Et sur le terrain ? J’ai eu peur. Vraiment peur. Les situations où j’ai craint pour ma sécurité, c’est systématiquement dans des festivals metal.. J’ai eu des types qui ont renversé mon stand en me traitant de “pédale”. Un autre qui a voulu me poignarder parce qu’il pensait que j’étais le stand des objets trouvés et que je lui avais volé son téléphone. Des mecs bourrés qui m’ont invité à “sortir pour me battre comme un homme”.
Et puis y’a les néonazis. Ceux qui viennent, torse nu, tatouages bien visibles, sourire en coin, pour me demander ce que je fais là. Ceux qui repartent en me crachant dessus, parce que ça les fait marrer.
Espoir et résistance
Mais dans ce marécage, il reste des gens droits. Des groupes comme Birds In Row, par exemple. Programmés au Hellfest, ils ont annulé leur venue en signe de protestation contre la présence de groupes problématiques. Et au Motocultor, ils ont dédié un morceau à la communauté LGBT et se sont fait insulter pour ça. Ces mecs sont des héritiers directs de Nirvana, dans l’attitude, la sincérité, la rage saine.
Il y a aussi des festivals qui montrent l’exemple : Les Lunatiques à Pacé. Des gens responsables, cohérents, respectueux. Ceux-là, je veux continuer à bosser avec eux, les aider, les soutenir. Et j’espère pouvoir écrire un autre texte dans un an pour en citer d’autres.
J’ai la boule au ventre la veille de chaque festival metal. Avant, j’étais impatient. Aujourd’hui, j’ai peur. Je sais pas à quelle sauce je vais être mangé. Je sais que certains me soutiennent, mais jamais publiquement. Personne n’a le courage d’assumer. Moi, je m’en fous de passer pour le casse-couille. Mais beaucoup subissent. Et le pire, c’est de voir des gens qui se disent d’accord avec toi, tout en se ruant à 7h du matin pour choper leur pass Hellfest. Hypocrisie totale.
Je finirai par quitter ce milieu. J’aiderai encore ceux qui veulent vraiment changer les choses, qui portent des valeurs justes, éthiques et responsables. Mais les autres, qu’ils ferment leurs portes, qu’ils s’endettent, qu’ils tombent.
Et pourtant, j’aimerai toujours le metal. J’écouterai toujours Deftones, AmenRa, Cult of Luna, Birds In Row, Fange et des dizaines d’autres qui gardent le cap, qui s’engagent, qui résistent. Peut-être qu’ils tiendront, peut-être pas. Mais eux, au moins, essaient.
Je veux crier que j’aime le metal en le montrant du doigt. Parce que je ne supporte plus sa condescendance, son éthique de façade, sa complaisance et son déni. Le metal, c’est la maison que j’ai aimée et qui me rejette. Mais je reste à sa porte, à gueuler. Parce qu’au fond, c’est aussi ça, le metal : dire merde à ce qu’on ne supporte plus.
