Logo Eclipshead mini Logo Eclipshead

FCK NZS – Episode 3 : Les Acteurs de l’Ombre Productions

Introduction

Cette enquête ne cherche pas à désigner des coupables individuels, mais à comprendre comment un réseau présenté comme « apolitique » et « passionné » a pu devenir un espace de complaisance envers des mouvances d’extrême droite.

Les Acteurs de l’Ombre Productions (LADLO) ne sont pas un label nazi.

Mais ils constituent aujourd’hui l’exemple le plus parlant d’un système où l’absence de position claire, la culture du déni et les collaborations répétées avec des acteurs problématiques finissent par dessiner une responsabilité collective.

Mon approche est à la fois documentée et située. Je m’appuie sur des sources publiques, des témoignages et mes propres observations accumulées au fil de plusieurs années de terrain dans les milieux de la prévention et de la scène metal.

Certaines personnes associées à la sphère de LADLO, notamment via la « Nuée des Ombres » (un club privé pour les plus gros fans et proches du label, qui accueille un nombre limité de 150 membres sur inscription payante à l’année), m’ont personnellement intimidé à plusieurs reprises sur mon stand de prévention lors de plusieurs festivals. Ces faits n’ont pas motivé cette enquête, mais ils ont renforcé la nécessité de comprendre pourquoi un tel climat d’hostilité peut exister au sein d’un milieu qui se dit fondé sur la passion et la liberté d’expression.

Ce texte s’inscrit dans une démarche de réduction des risques culturels : nommer, relier, contextualiser, parce que la complaisance n’est pas une opinion, mais un choix, souvent inconscient, toujours politique.

La sphère LADLO : quand la passion sert de paravent

Officiellement, Les Acteurs de l’Ombre Productions (LADLO) se présentent comme une association de passionné·e·s, « bénévoles, dévoué·e·s à la promotion d’une nouvelle génération de black metal français et avant-gardiste ».

Sur leur site officiel, le label se définit comme « un outil de promotion et de distribution pour les artistes de la nouvelle génération du black metal (post, atmospheric et avant-gardiste) », ajoutant qu’il souhaite « offrir des objets de grande qualité en travaillant avec des designers talentueux » (source : lesacteursdelombre.net, octobre 2025).

Le ton est artisanal, presque romantique, mais derrière cette image léchée se déploie une nébuleuse d’acteurs interconnecté·e·s, un écosystème culturel où circulent les mêmes visages, les mêmes justifications, et parfois les mêmes complaisances.

La constellation des « ami·e·s du label »

Au fil des années, LADLO s’est entouré d’un cercle d’artisan·e·s, de musicien·ne·s et d’organisateur·rice·s issu·e·s du même milieu :

Les brasseries Osseus, Oroboros, Blast n’Beer et Couille de Loup, le Collectif Tomahawk sont régulièrement associé·e·s à ses événements, notamment au festival privé Les Feux de Beltane à Querrien (Finistère) et au festival de mai 2025 Rituel Noir, une sorte de Beltane version publique avec des règles de comportement de façade.

Le Collectif Tomahawk, considéré par certains comme « the place to be », incarne pour d’autres le pire en matière d’organisation et de gestion d’événements. Malgré un aménagement soigné, tout y est bâclé : la décoration prime sur la sécurité, l’hygiène est déplorable, et les normes sanitaires sont ouvertement ignorées.

J’ai souvent entendu : « Le Tomahawk, une de mes pires expériences bénévoles », au moins à égalité avec le Motocultor.

L’édition des Feux de Beltane 2018 a accueilli Aorlhac, groupe du label LADLO, dont le batteur Florian Denis est également membre de Peste Noire, Lemovice, Wolfsangel (groupes de RAC, Rock Against Communism) et Vouïvre, projet mené par Famine (Peste Noire) et Sün (Malsaint).

Un article de Mediacoop, publié le 20 septembre 2021, souligne « Les Feux de Beltane, sous prétexte de folklore breton, mais où certains rituels avec des croix enflammées rappellent ceux du Ku Klux Klan ».

(Source : « Concert folkish à Clermont-Ferrand : un relent de néonazisme ? », Mediacoop, 20/09/2021.)

Plusieurs témoins présents sur place ont rapporté avoir vu des saluts fascistes et des runes enflammées dressées lors des rituels nocturnes. Loin d’être un cas isolé, ce type d’ambiance illustre un entre-soi où black metal, artisanat et symbolique païenne se mêlent dans un flou propice à toutes les ambiguïtés.

Une complaisance devenue système

Lorsqu’on interroge les grands festivals sur ces connivences, la réponse est souvent désarmante. Dans une interview publiée par Hexalive le 17 juillet 2025, le directeur du Motocultor Festival, Yann Le Baraillec, déclare :

« Pour le Metal Market et les labels, deux ont été critiqués dans l’article de Libération, comme Les Acteurs de l’Ombre, mais je ne vois pas vraiment en quoi, et Antiq. Mais eux, ce ne sont pas un label à proprement parler, ils vendent des disques simplement. Il y a des groupes sur leurs sites qui peuvent être problématiques comme Burzum. Mais des disques de ce groupe, ils s’en sont vendus dans beaucoup d’autres labels. En fait, il faudrait interdire beaucoup de labels metal qui vendent du black metal… »

Ce relativisme est symptomatique. Au lieu d’assumer une responsabilité morale, le discours se réfugie dans l’idée que « tout le monde a des casseroles », dissolvant la gravité des faits dans un confort collectif. Pourtant, LADLO a collaboré ou distribué des groupes via Antiq Records et Sepulchral Productions, deux structures identifiées pour leur rôle central dans la diffusion du NSBM (National Socialist Black Metal). Ce trio de labels entretient des liens étroits, comme en témoignent les nombreuses photos disponibles montrant Gérald Milani et son proche Léon Guiselin, souvent immortalisés attablés ou en promenade.

Un maillage idéologique et économique

La sphère LADLO dépasse largement la musique. Autour du label gravitent :

Les Éditions des Flammes Noires, qui publient ou distribuent notamment :

  • Le fanzine L’Antre des Damnés : certains numéros ont inclus des groupes associés au NSBM, tels que Belore, Prelude, Cult of Erinyes, Le Prochain Hiver, Novae Militiae, Serpent Antique, Noirsuaire, Byrgenstow, David Berbel, Malphas, Black Death Grind et Sombre Chemin. Certains de ces groupes sont connus pour leurs liens avec des idéologies nationalistes ou d’extrême droite.
  • Le recueil de poèmes When Prozac No Longer Helps de Niklas Kvarforth : Kvarforth a été accusé en 2017 d’avoir drogué la boisson d’une personne, agressé sexuellement des femmes, menacé de poignarder des spectateur·rice·s, proféré des insultes racistes et homophobes, et effectué des salutations nazies sur scène (sources : Teknomers 2022, Metalsucks 2017).

Emilien Nohaic, le fondateur de la maison d’édition, m’a un jour dit : « Si on arrêtait de vendre du NSBM, on fermerait boutique. »

Le food-truck Call of Coffee, présent sur les événements du réseau, qui, lorsque je les fréquentais, ils ont toujours nié voir des personnes néonazies, pourtant visibles à un mètre d’eux, et les servant sans rechigner. Notamment au Tyrant Festival en 2024, où je me souviens encore avoir croisé des groupes entiers de néonazis aller et venir, faire du bruit, crier des slogans racistes ou graveleux sexistes, devant leur food-truck. « Ah non, j’ai rien vu, t’es sûr ? ».. D’ailleurs, les membres de l’association Nao Noise, organisatrice du même festival, ont eux aussi toujours ignoré ou minimisé la présence de ces festivaliers ultra problématiques.

Vecteur Magazine, média indépendant fondé par Jérémie Bennard, relayant régulièrement les productions LADLO sans distance critique. Jérémie Bennard est actuellement membre de l’équipe du Motocultor, aux côtés de Yann Le Baraillec. Festival où, encore cette année, de nombreux témoignages ont fait état de problèmes internes récurrents : maltraitance de bénévoles, présence de membres d’équipe aux comportements problématiques, actes de violence envers des prestataires, et surtout une tolérance inquiétante envers un public d’extrême droite, libre d’arborer symboles coloniaux, tenues SS ou t-shirts à l’effigie de groupes comme Burzum, MGLA ou Peste Noire.

Cet ensemble forme un écosystème économique intégré, où chaque acteur soutient les autres, servant ainsi de paravent à une tolérance structurelle envers des individus et des symboles d’extrême droite. Cette complaisance est légitimée par le vernis de la passion musicale.

Témoignage du terrain : la banalité du déni

Pour avoir moi-même fréquenté certains membres de ce réseau, dont Gérald Milani, j’ai souvent été témoin de ce double discours systématique. Milani, qui se revendique « de gauche », m’a un jour confirmé avoir été impliqué, plus jeune, dans une polémique liée à une photo promotionnelle de son ancien groupe : celle-ci aurait montré un salut nazi. Il affirmait en avoir été « furieux » à l’époque, tout en admettant que l’image avait effectivement circulé, un aveu difficile à concilier avec son récit d’innocence. Je tiens à préciser que je n’ai jamais vu cette photographie moi-même ; en revanche, cette anecdote m’a été rapportée à plusieurs reprises par des proches du milieu, comme un exemple parmi d’autres de l’ambiguïté idéologique qui y règne.

Lors d’un festival privé, le Satanas Ebrietas Conventus (organisé par un collectif de brasseurs et LADLO), il m’avait soufflé à propos du chanteur de Chants du Nihil :

« Tu sais, il a fait des conneries quand il était jeune, mais il est clean maintenant… »

Un discours typique d’une scène où la jeunesse, la réhabilitation ou la distanciation esthétique servent trop souvent d’excuses commodes. La question n’est pas de savoir si ces personnes pensent « nazi », mais pourquoi elles continuent à partager l’affiche, les scènes et les rituels avec des individus qui le sont.

Sous la surface : un problème moral, pas idéologique

Dans toutes les sources publiques consultées, interviews, pages officielles, réactions antifascistes, LADLO et ses cadres n’ont jamais pris de position claire, directe et inconditionnelle contre le nazisme, le NSBM ou l’antisémitisme. Leur discours se concentre sur la gestion du label, l’esthétique musicale et la « passion ». Dans une interview à Metal1 en juin 2020, Gérald Milani déclarait :

« Nous sommes une association bénévole, et nous fonctionnons sur un mode collaboratif. Chaque décision est discutée collectivement, que ce soit pour la signature d’un groupe ou pour l’organisation d’un concert. Nous ne nous positionnons pas politiquement, notre objectif est de promouvoir la musique que nous aimons. »

Cet apolitisme revendiqué est devenu un outil de confort collectif, permettant d’éviter toute confrontation morale. Loin d’être une neutralité, il constitue un acte politique en soi : celui de laisser la place aux acteurs les plus extrêmes, sous prétexte de liberté artistique.

Groupes problématiques dans le roaster passé

  • ACOD – de 2022 à 2023, le bassiste et leader du groupe, Jérôme Grollier, est membre de Mortiferia, groupe néo-nazi fondé par Neige (Alcest) et Cyril Mendre (alias Noktu Geiistmort), ce dernier étant également membre de Gestapo 666, groupe néonazi, antisémite et anti-islam, signé chez Drakkar Productions, label connu pour son allégeance à des groupes antisémites et suprémacistes.
  • Asphodèle – en 2019, La chanteuse Audrey Sylvain, néonazie antisémite notoire et ancienne membre de Peste Noire (2007–2015), a été photographiée effectuant un salut nazi aux côtés de Ludovic Faure (alias Famine, Peste Noire) avec des commandos paramilitaires néonazis ukrainiens.
  • Bâ’a – en 2018, le chanteur Nicolas Saint-Morand (alias RMS Hreidmarr) est membre actif du groupe suprémaciste, raciste et nationaliste Baise Ma Hache.
  • Grave Circles – en 2020, groupe ukrainien dont le chanteur Dødes Kor a été membre de Peste Noire (2018–2023), et dont le bassiste Khladogard a été membre du groupe néonazi М8Л8ТХ (2018).
  • Sühnopfer – (2014–2015), le leader Florian Denis (alias Ardraos) est une figure incontournable du milieu NSBM : batteur de Vouïvre (2015–2017), batteur de Peste Noire (2012–2018) et batteur de Lemovice (jusqu’en 2018), trois groupes ouvertement néonazis.

Certains de ces groupes ont officiellement quitté le roster des Acteurs de l’Ombre, mais leurs albums et leur merchandising restent disponibles à la vente sur la plateforme du label, sans aucune distance critique ni mise en garde. Une position qui illustre parfaitement le double discours de LADLO : d’un côté, une volonté affichée de se distancier (sans communication claire sur les raisons de ces départs), et de l’autre, une complaisance économique persistante, où l’héritage problématique de ces artistes continue d’être monnayé, et donc légitimé, sous le couvert de la « passion musicale ».

Groupes problématiques dans le roaster actuel (présent)

  • Acédia – (depuis 2022) : le guitariste Gia Hoi Nguyen (alias Glauque) est ou a été membre des groupes québécois Délétère (depuis 2014) et Forteresse (2016–2017), groupes nationalistes. Le batteur Charléli Arsenault (alias Cadavre) participe également en tant que batteur live des groupes nationalistes québécois Forteresse (depuis 2018) et Ossuaire (depuis 2024). Le groupe est directement lié au label NSBM Sepulchral Productions.
  • Aorlhac – (depuis 2018) a compté parmi ses membres problématiques : en 2018, Florian Denis (alias Ardraos), alors membre des groupes NSBM Peste Noire et Sühnopfer ; et plus tôt, de 2007 à 2010, Marc Crapud (alias Ashcariot), qui deviendra plus tard membre de Peste Noire et de Regiment (groupe pétainiste signé chez Antiq Records).
  • Les Chants de Nihil – (depuis 2021), deux membres, Jerry (chanteur et guitariste) et Mist (guitariste), ont fondé le groupe néonazi Légion Mortifère entre 2006 et 2008. Ce groupe fait des références à « l’hygiène raciale » (citant le programme nazi Lebensborn) et à la « pureté blanche ».

Distribution (distro) sur le site LADLO

Conclusion : la complaisance comme structure

LADLO n’est pas un label nazi. Mais il est le centre d’un système où la complaisance, le relativisme et le silence jouent le rôle de complices actifs. En refusant de trancher et en continuant de collaborer avec des figures connues pour leurs liens à l’extrême droite, le label contribue à normaliser des acteur·rice·s et des symboliques ouvertement fascisantes. Leur logo, un A sans barre dans un cercle, évoque d’ailleurs celui des Jeunesses identitaires — une ressemblance peut-être fortuite, mais révélatrice de ce flou constant entre esthétique et idéologie.

Le problème est d’autant plus préoccupant que le label a pignon sur rue : présent partout sur la scène metal, bien placé dans les grands festivals, et parfois même privilégié au Hellfest ou au Motocultor, mais aussi dans un grand nombre de plus petits festivals comme le Tyrant Festival, le Muscadeath, les Samaïn, Court of Chaos, Forest Fest Open Air et autres Seisach’s Metal Nights… Une visibilité et une protection qui laissent songeur sur l’état de la scène metal et sur les mentalités qu’il est plus que temps de combattre. Ce qui se joue ici, ce n’est pas la question de la croyance, mais celle de la responsabilité culturelle. Car dans un milieu où la passion justifie tout, le silence devient une arme, et la neutralité, une forme de choix.

Enfin, voici ce que disait très justement par communiqué l’Antifascist Black Metal Network à propos des Acteurs de l’Ombre :

« LADLO a une complaisance de longue date avec des acteurs fascistes qu’il ne signe certes pas mais qu’il invite et qu’il rémunère. Plutôt que de prendre une position claire contre le nazisme et le fascisme, le label préfère se recroqueviller sur un communiqué méprisant qui ne tient aucun compte des craintes légitimes de ses fans et qui préfère les moquer. Mais le flou ne profite pas au label, car les éléments incriminant le label sont nombreux. Un communiqué frileux ne suffira pas à le laver de tout soupçon. Il ne suffit pas de dire que le label ne signe pas de groupes NS, nous voulons la confirmation que Les Acteurs de l’Ombre condamnent le nazisme et ne sera plus complaisant à son égard. Tant que le label ne prendra pas ses responsabilités, nous ne pourrons pas prendre le risque que notre argent arrive dans la poche de fascistes. »

Ouverture au dialogue et droit de réponse

Ce travail n’a pas pour but de condamner, mais d’interroger les mécanismes de complaisance au sein de la scène metal. Nous invitons Gérald Milani et les Acteurs de l’Ombre à répondre à ces questions, pour clarifier leur position sur les collaborations controversées et les symboles tolérés. Leur droit de réponse est garanti : qu’ils nous contactent par email (contact@eclipshead.com). Nous publierons leur réaction intégralement et sans filtre. Car la passion musicale ne doit pas servir d’alibi à l’impunité. Le débat reste ouvert.

Intéressé·e par nos actions ? Contactez-nous ou devenez bénévole !

Chargement...

Eclipshead