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J’ai jamais su fermer ma gueule

J’ai jamais su fermer ma gueule © Copyright Eclipshead

J’ai jamais su fermer ma gueule

Je ne me souviens pas d’un jour précis où tout a commencé. Rien n’a pris la forme d’une scène fondatrice. C’est une posture. Je ne me tais pas. Quand quelque chose me choque, je parle. Quand je vois une saloperie, je la nomme. Quand quelqu’un déraille, je le pointe. Je ne me mets pas de limite. Peu importe la manière dont la personne me verra. J’ouvre la bouche et je dénonce.

Je le fais parce que le silence m’a déjà coûté trop cher. Un jour, j’ai choisi de détourner les yeux. Pas par lâcheté pure, mais par stratégie. Garder une place. Rester dans le jeu. J’ai été conseiller municipal, impliqué dans des organisations culturelles, entouré de personnes avec des titres, des mandats, de l’aura. J’ai assisté à des réunions où tout sonnait faux. Des personnes parlaient de choses lunaires, la salle restait muette. J’ai vu des personnes bosser dur pour trouver un public, galérer, et d’autres tricher sur les chiffres, accumuler des dettes, se cramer, entraîner d’autres dans leur chute.

J’ai vu des choses illégales. Certaines étaient assumées. D’autres étaient minimisées sous prétexte que « ça fonctionne comme ça ici ». J’ai mangé avec des personnes qui se sont révélées pourries jusqu’à l’os. Le jour où j’ai compris qu’elles jouaient toutes dans la même équipe, j’ai fui.

Quand je dénonce, ce n’est pas du vent. J’ai des e-mails, des SMS, des contrats, des factures, des photos, des vidéos, des enregistrements audio, des témoignages écrits. Et surtout des souvenirs. Beaucoup de personnes toxiques aiment se confier, et j’écoute sans couper. J’ai entendu énormément de choses. Ce que je balance ne représente qu’une partie de ce que j’ai. Je ne publie pas tout. Je vérifie d’abord. Je garde aussi des munitions, au cas où.

Mon combat contre l’extrême droite

Depuis mon adolescence, un combat revient toujours : lutter contre l’extrême droite. J’ai grandi en Alsace, une région où le Front national est installé depuis longtemps, avec les mentalités qui vont avec. J’ai passé du temps avec les punks des années 90. J’ai milité. J’ai manifesté, biberonné au Bérurier Noir. J’ai aussi passé près de trente ans dans le milieu de la musique. Je l’ai vu se dégrader. Une période d’authenticité a laissé place à des compromis, puis à des compromissions, puis à des logiques toxiques. Et il y a la politique. Je l’aime. Je la suis. J’ai tenté d’y entrer. Elle m’a déçu au-delà du supportable, au point de ne plus y croire. En tout cas, pas dans sa forme actuelle.

Aujourd’hui, le climat fait peur. L’extrême droite a réussi sa dédiabolisation. Elle a brisé un plafond de verre. La droite classique et le centre tiennent des positions qui flirtent avec l’extrême. Ce glissement entraîne une radicalisation en face. Le socialisme dans son sens noble s’est presque effacé. La brèche s’est élargie. Toutes celles et ceux qui chuchotaient, qui jouaient dans des caves, qui rendaient hommage à des dictateurs sans témoin, avancent aujourd’hui à découvert. Les vannes sont ouvertes. Les nazis défilent à visage découvert. C’est devant nous.

Le milieu culturel

Dans le milieu culturel, les choses ne se cachent plus vraiment non plus. Je ne parle pas de rumeurs, mais de festivals connus qui programment des personnes sous procédure judiciaire pour agressions sexuelles, qui invitent des artistes liés à des discours homophobes ou autoritaires, qui couvrent des comportements problématiques, qui isolent celles et ceux qui dénoncent. Le silence sert de règle tacite. Je refuse d’en être.

J’ai signalé plusieurs cas à des municipalités, des institutions, des journalistes. Toujours la même issue : rien. Pas un mail, pas un appel. Je ne peux pas porter plainte à la place des personnes concernées. Parfois, je croise encore des acteurices du milieu avec une vraie éthique. Là, les personnes problématiques finissent écartées. Mais institutionnellement, c’est le vide.

Évolution personnelle

Je sens que je suis devenu plus radical avec le temps. Ma femme me l’a dit un jour. J’ai d’abord nié. Elle avait raison. Je pardonne moins. Je doute davantage. Je pose plus de questions. Je ne ferme plus les yeux. Je me lance dans des batailles que je juge justes, même si elles épuisent. Cette rigidité ne vient pas d’une haine de l’autre ni d’un enfermement idéologique. Elle vient de l’usure. Et de la solitude. On se bat. Et parfois, tout semble s’effriter autour.

Face à tout ça, je reste comme je suis. Je ne me tais pas. Je n’y arrive pas. Ce n’est ni une vertu ni une malédiction. C’est ma façon d’être. Une part de moi, lourde mais nécessaire. Je ne m’effondre pas. Je tiens. Je fatigue parfois. Je tiens quand même. Je parle parce que je ne conçois pas de laisser ce qui me révolte filer sans réponse.

Je gueule depuis des années. Peu de gens écoutent. Souvent, je parle dans le vide, comme dans un cartoon de Tex Avery : un type au milieu du désert, sans même un coyote pour lever la tête. Mais je continue.

Je crois que beaucoup sont fatigués. Beaucoup sont désabusés. Moi aussi. Mais je ne me tais pas. Le silence, aujourd’hui, ressemble trop à une approbation. Je ne veux pas de ça.

J’ai jamais su fermer ma gueule. Et ça n’est pas près de changer.

Portrait d’Olivier Jung

OLIVIER JUNG
Référent VSS/RDR. Supervision, formation et accompagnement des équipes bénévoles en milieu festif.

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