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Le Silence des institutions

Le Silence des institutions © Copyright Eclipshead

Une alerte sans réponse

Depuis trois ans, je cherche un soutien institutionnel. Pas pour exister. Pas pour me faire un nom. Pour alerter. Point.

Et depuis trois ans, je me prends un mur.

Cette démarche est devenue une tournée absurde des bureaux. Toujours la même chose à dire, toujours les mêmes faits graves à poser sur la table : dégradation massive des conditions d’accueil en festival, explosion des agressions, décomplexion totale des groupes d’extrême droite sur les sites, circulation de drogues à grande échelle, mineur·es exposé·es de plus en plus tôt. Tout le monde le sait. Personne ne veut vraiment regarder.

Les tentatives de soutien institutionnel

J’ai écrit des centaines d’e-mails. J’ai rencontré des député·es, des sénateur·ices, des directions régionales, des maires, des responsables de tout et de rien. Et ce que j’ai surtout récolté, c’est du silence. Ou du vent.

Oui, j’ai croisé des personnes sincères, parfois même choquées par ce que je racontais. Et puis il y a les autres. Froides. Hermétiques. Avec un décalage lunaire entre leur vision confortable du réel et ce que je décrivais depuis le terrain. À ces moments-là, j’ai l’impression d’être Mulder racontant avoir vu des petits hommes gris. Le problème, c’est que moi, je parle de viols, d’agressions, de gamin·es exposé·es à des trucs qui devraient alerter tout le monde.

Isolement sur le terrain

Aujourd’hui, quand je rencontre quelqu’un de nouveau, je suis méfiant. J’y vais à contrecœur. Je sais déjà que je risque de me prendre une claque. Pire : de me faire démonter parce que j’ose dire à ces personnes ce qu’elles sont déjà censées savoir. Et qu’elles préfèrent ignorer.

À ce jour, personne n’a pris le problème à bras-le-corps. Personne ne s’est levé pour dire « stop ». Pourtant, le pouvoir existe. Il est là. Mais on préfère se planquer derrière des dispositifs soi-disant en cours, des acquis imaginaires, des groupes de travail hors-sol. Tous les gens de terrain le disent : ça ne sert à rien. Ou plus exactement, ça sert surtout à ne rien changer.

Dysfonctionnements dans les associations

Sur le papier, des programmes existent : lutte contre les violences sexistes et sexuelles, réduction des risques, prévention. En réalité, tout repose sur trois ou quatre associations gavées de subventions, érigées en références intouchables. C’est écrit dans leurs statuts, c’est propre sur leur façade. L’administration ne va pas sur le terrain. Elle croit ces structures sur parole. Comme d’habitude, on délègue au monde associatif ou au privé, et on se lave les mains.

Sur le terrain, c’est souvent catastrophique. Les solutions proposées sont inapplicables ou carrément dangereuses. Certaines relèvent plus du militantisme que de protocoles concrets. Le militantisme, très bien. Ce n’est pas mon sujet. La prévention en milieu festif, ce n’est pas un slogan. Quand ça foire, des gens prennent cher.

J’ai vu des associations ne pas finir leurs missions. Trop de boulot. Flemme de faire les rapports post-événement. Flemme de ranger. On laisse ça aux bénévoles. Flemme de tenir les créneaux de nuit. J’ai vu des responsables en état d’ivresse avancée, mal parler à des festivalier·es qui demandaient de l’aide, puis se barrer en laissant une image pitoyable de la prévention.

Oui, j’ai vu une responsable régionale insulter une mère venue chercher des préservatifs pour sa fille. J’étais bénévole. J’ai tout vu. Et ce jour-là, j’ai décidé que je ne bosserais plus jamais pour ces structures malhonnêtes.

Limites des interventions sur les événements

J’ai vu des stands de réduction des risques fermer à 23 heures parce que les équipes préféraient aller faire la fête. En même temps, la Prévention routière plie souvent à 22 h 30. Chacun ses priorités.

Ces associations ne daignent se déplacer que pour les gros événements. Ceux à plus de 10 000 personnes par jour. Le reste ne les intéresse pas. Les petits événements ? On les abandonne. Ou on leur vend du matos hors de prix avec une formation déconnectée du réel, et basta.

Résultat : des événements complètement à poil. Ou pire, convaincus d’être prêts, jusqu’au jour où ça explose. Je ne compte plus les coups de fil en pleine nuit. Je ne compte plus les organisateur·ices qui m’ont appelé pour reprendre le relais après le passage désastreux de ces associations.

Et quand ces mêmes structures apprennent que j’ai aidé, certaines me diffament pour m’empêcher d’intervenir. Parce que je suis gratuit. Parce que je dérange. Parce que je ne rentre pas dans leur business.

La priorité nationale et les contradictions

On nous répète que la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité nationale. Dans le même temps, le président soutient publiquement Gérard Depardieu, englué dans des accusations d’agressions sexuelles et de viols, filmé tenant des propos ignobles sur des gamines. Un ministre en fonction, Gérald Darmanin, traîne encore une affaire d’agression sexuelle. La Première dame défend publiquement Ary Abittan après un non-lieu qui ne dit pas qu’il est innocent, mais qu’on n’a pas pu prouver le non consentement.

C’est ça, la réalité des plaintes pour viol. Parole contre parole. Et ça se joue au réseau, au carnet d’adresses, au bon avocat. Voilà la « priorité nationale ».

Je fais ce boulot avec zéro moyen. Zéro soutien. Face à moi, des organisations qui s’en battent les couilles. Personne pour contrôler. Personne pour sanctionner. Personne pour couper les subventions. On me répète que tout va bien. Que tout est sous contrôle.

Alors oui, parfois j’imagine la prochaine victime. Celle de 2026. Lui expliquer qu’elle n’a pas eu de bol. Qu’on m’a dit que tout était en place. Que, théoriquement, ça n’aurait pas dû arriver. Je ne pourrai jamais faire ça.

Je ne sais pas fermer ma gueule. Et je ne sais pas mentir.

Olivier Jung
A propos de l'auteur
Je suis engagé dans la prévention des violences sexistes et sexuelles, la réduction des risques et la lutte contre les mouvements d’extrême droite, principalement dans les milieux festifs. J’utilise l’écriture pour explorer mes émotions et donner du sens à mes expériences, avec une approche directe, factuelle et inclusive pour décrire le monde et les personnes autour de moi.
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