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Parents et enfants : tenir le fil

Parents et enfants : tenir le fil © Copyright Eclipshead

Je n’ai pas d’ados à la maison. Mes enfants ont sept ans, ce sont des jumeaux. Par contre, je parle souvent avec des parents largué·es. Certain·es ados arrivent avec un plein d’infos, parfois plus que nous, parfois trop. D’autres débitent n’importe quoi, et c’est pas de leur faute. J’ai été comme eux. J’ai fait des conneries, j’ai picolé, j’ai pris des drogues, et j’ai tout planqué à mes parents.

Cet article s’adresse surtout aux parents qui ne pigent plus ce que leur gosse traverse. Ceux qui repèrent un truc bizarre sans savoir quoi faire, ceux qui flippent d’aborder certains sujets, ceux qui se sentent perdu·es dès qu’il faut parler de sexe, de drogues ou de zones encore plus intimes. Je n’ai pas écrit un manuel. Je ne prétends pas tout savoir. Je raconte ce que j’observe, ce que j’ai vécu et ce que j’ai compris après des années passées avec des parents et des jeunes.

La sexualité arrive tôt

L’enfant pose sa question au beau milieu d’un geste banal : « Comment on fait les bébés ?« . S’il ou elle est trop jeune, on reste simple, clair, honnête. Une image, une comparaison, et c’est réglé.

Quand l’enfant grandit, tout change. L’ado débarque avec un mélange d’infos : l’école, les ami·es, internet. Les jeunes filles avancent souvent plus vite, surtout sur la contraception et la santé. Quand un ado se confie, il ne demande pas « comment on fait« , il le sais déjà. Il cherche une sortie : une rupture, un doute, un besoin immédiat. Par exemple, beaucoup ignorent que les préservatifs restent gratuits en pharmacie jusqu’à 26 ans. Et même avec l’info, tout le monde se connaît dans certaines villes ou certains villages. Passer la porte de la pharmacie peut devenir un mur énorme. Le simple regard d’un adulte suffit parfois à bloquer un geste vital.

Infantiliser ne sert à rien. On se cale à leur hauteur et on propose du concret : filer quelques euros pour un passage au supermarché, acheter soi-même, accompagner sa fille chez le médecin. Même chose pour les garçons. Ce type de moment ouvre une bulle où un·e pro neutre répond sans juger. La gêne se casse, la complicité prend le relais. Chaque famille traîne ses blocages, ses peurs, ses croyances. Je ne fournis aucune recette miracle. Je sais juste qu’un ado finit toujours par trouver une solution. Autant que ce soit une solution qui ne flingue personne.

Les ados et l’information

Les ados pigent beaucoup de choses. Sur la sexualité, les images débordent partout. Sur les drogues, ils entendent parler du cannabis, du protoxyde d’azote, du poppers, des puffs et d’autres produits. L’info circule vite, souvent de travers. Aucun besoin d’être prof de toxicologie. Le plus important tient dans la présence : écouter, dire un mot simple, rassurer. Souvent, ça suffit vraiment.

Quand une discussion démarre, je laisse l’ado prendre la place. Il dit ce qu’il sait, ce qu’il croit, ce qu’il a entendu. J’ajuste deux ou trois trucs quand il faut, j’encourage le reste. Le mot consentement circule partout. Sur le papier, tout paraît limpide. Dans la vraie vie, c’est pas encore ça. Dire oui par peur d’un jugement ou sous la pression d’un groupe ne ressemble à rien de libre. Ce point-là reste flou pour beaucoup, et personne ne leur apprend correctement.

La prévention

La prévention reste indispensable. En 2025, les IST circulent toujours. Certaines ne guérissent jamais. Beaucoup de jeunes croient que le VIH appartient aux années 90 ou qu’il suffit « d’un traitement« . Les rapports de Santé publique France montrent autre chose : la trithérapie exige une prise quotidienne et un suivi régulier. Les traitements blessent moins qu’avant, mais ça reste une maladie chronique. Le papillomavirus reste mal connu chez les garçons alors qu’il concerne tout le monde.

La pression sociale écrase beaucoup d’ados. Les discours masculinistes abîment les garçons. En groupe, ils enfilent un rôle pour tenir la norme. En face à face, tout tombe : ils se sentent nuls, perdus, seuls. Les filles, si elles couchent, elles se font juger. Déconstruire tout ça prend du temps.

Le porno ne peut plus être esquivé. Avant internet, il circulait peu. Aujourd’hui, il tombe sur les écrans sans prévenir. Pas de décor, pas d’histoire, juste du gonzo où la femme sert d’outil. Le fléau des OnlyFans et MYM ajoutent une autre illusion. Certain·es jeunes publient du contenu sexuel pour gagner de l’argent. On leur vend de l’indépendance, mais c’est du vent. Leurs repères se pulvérisent. Certain·es tombent sur des images qui ne montrent ni échange ni respect. Cette prostitution à peine dissimulée sous une couche de soi-disant liberté crée une confusion totale. Iels prennent ça pour la norme alors que c’est une mise en scène pensée pour l’argent. Le dialogue reste la seule solution.

Le piège le plus courant : vouloir leur éviter nos murs. On connaît les fractures, les cicatrices, les nuits qui partent en vrilles. On voudrait leur tracer un chemin sécurisé. Mais ces murs construisent aussi. Je garde deux règles : un gosse ne se met pas en danger, un gosse ne met personne en danger. Tant que ça tient, le reste fait partie de l’apprentissage.

Parler de sexualité et de drogues

Certains parents n’osent plus parler de sexualité ou de drogues. Leur propre adolescence laisse encore des traces. L’ado choisit le moment. Ça peut tomber au petit déjeuner ou au moment d’aller se coucher. Une question paraît simple, mais derrière il y a parfois la honte ou la peur du jugement. L’adulte ne sert à rien avec une posture de pro. Dire que c’est compliqué, dire qu’on s’est posé les mêmes questions, ça reste honnête. Et dans un monde comme le nôtre, les gamins ont besoin d’honnêteté.

Sur les drogues, je ne joue pas au héros. Entre 14 et 21 ans, j’ai presque tout essayé. J’ai refusé les piqûres à cause de ma peur des aiguilles. J’ai dealé pour consommer. Personne ne m’a interrogé. Personne n’a tenté de me ralentir. J’ai commencé à freiner en voyant mes potes finir en HP ou sous une dalle en marbre. Je ne voulais pas terminer comme ça. Un médecin de famille a fini par me dire que je me détruisais. Je n’ai rien d’un exemple. Aujourd’hui, le paysage a évolué. Des structures existent, des bénévoles, des équipes en RDR, des sites d’info, des permanences sans jugement. Les jeunes parlent plus facilement des drogues que du sexe. Les produits vendus partout créent un vrai danger. Les puffs attirent les plus jeunes avec des couleurs flashy, des goûts sucrés, des promesses débiles. Les flacons vendus comme « poppers » provoquent des accidents. Ces produits restent méconnus et sous-estimés par les parents.

La confiance et le quotidien

La confiance naît tôt. Les nuits blanches pour calmer les peurs, les gestes rassurants, les petites routines. L’enfant sent la présence, même maladroite.

Il faut dire aussi une vérité : tous les parents ne tiennent pas debout. Parfois, on n’est pas stable soi-même, alors soutenir quelqu’un devient difficile. Monoparentalité, plusieurs gosses, en galère sociale, malade, épuisé·e, à courir partout. C’est rude. Et ça ne veut pas dire qu’on échoue. Ça veut dire que le temps et l’énergie manquent. La constance n’a rien d’un super pouvoir. La constance, c’est revenir quand on peut, à la hauteur possible. Cinq minutes après le boulot, un moment dans la cuisine pendant qu’iel prend son goûter. Le reste se construit là-dessus. La stabilité ne signifie pas « au top » ou « parfait·e« . Les gamins voient l’effort, même minuscule.

Certains parents pensent qu’une proximité trop forte retire l’autorité. C’est faux. L’enfant apprend. Il tombe, il rit, il avance, il se plante. Comme toi. Comme moi.

Sur les sujets sensibles, l’enfant garde la main. Iel donne ce qu’iel veut donner. Le reste reste à l’intérieur. Forcer brise quelque chose. Son rythme compte.

L’isolement, les silences, les portes qui claquent n’annoncent pas toujours une provocation ou un danger. Parfois, c’est un chagrin d’amour, une fatigue, un besoin de couper. J’observe. Je repère les retards répétés, la baisse d’envie, un changement brutal. Ce sont des signaux, pas des preuves.

Quand un parent remarque quelque chose, il vaut mieux éviter d’arriver en flic. Un petit mensonge sert parfois de couverture. Il peut cacher une peur plus profonde. L’ado ne se livre pas facilement. C’est normal. Quand mes enfants me mentent, je gueule. Ça ne sert à rien. Le plus important reste de redescendre et de laisser une porte ouverte. Il faut parfois leur faire comprendre nos propres limites, imposer un moment de silence, de repli, pour y retourner plus tard.

Quand un enfant se met en danger ou met quelqu’un en danger, il faut agir. Pas pour punir. Pour comprendre ce qui se passe. Le parent doit donner une sortie, même lente. Il doit rester un repère. C’est dur, c’est épuisant, mais ça fait partie du rôle.

Le quotidien fait tout. Les repas, les balades, les jeux, les passions. Ces moments créent les fondations qui soutiennent les discussions lourdes.

Avec les années, un parent et un enfant finissent par se comprendre sans parler. Ils sentent les limites, les zones fragiles, les points forts. Ce travail dure toute une vie. On s’accroche pour l’enfant, pour soi, parce que ça compte. Le milieu social ne change rien. Être présent et à l’écoute ne demande pas d’argent. Juste un peu de temps, quelques mots, un regard. Et ça pèse lourd.

Les nouvelles générations ne vivent pas « en avance« . Elles vivent autre chose. Elles déconstruisent, elles reconstruisent. On se sent largué parfois. C’est normal. Faire un pas vers l’enfant suffit.

L’enfant passe des étapes, cherche sa place. Le parent reste là. Même si l’ado ne le voit pas. La perfection ne sert à rien. La constance suffit.

Ressources et liens utiles

Portrait d’Olivier Jung

OLIVIER JUNG
Référent VSS/RDR. Supervision, formation et accompagnement des équipes bénévoles en milieu festif.

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