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Prévention en festival : La prévention n’est pas un produit à vendre

Prévention en festival : La prévention n’est pas un produit à vendre © Copyright Eclipshead

Je ne suis pas tombé dans la prévention par choix ni par ambition. J’y suis arrivé un peu par hasard, un peu par la force des choses. J’étais là au bon… ou au mauvais moment, et ça s’est imposé comme une évidence. Au départ, j’étais juste bénévole, sur des festivals en Bretagne, puis ailleurs. J’apprenais sur le tas, formé par plusieurs assos, souvent pendant les événements. Avec le recul, certaines formations étaient complètement déconnectées du terrain. On nous sortait des graphiques, des projections, des statistiques… mais rien sur la vraie vie : la fatigue, la détresse, la complexité des échanges.

Le business derrière la prévention en festival

Et déjà, j’avais compris : derrière la prévention, y’a un vrai business. Les formations, c’est l’eldorado. Quand tu formes, tu rentres du blé. On te vend du “savoir-faire” comme un logiciel ou un coaching : journées facturées, PowerPoint calibrés, modules copiés-collés. J’en ai bouffé, des heures de rabâchage. Certaines utiles, d’autres juste absurdes.

Le vrai choc, ça a été de voir des assos refuser des festivals parce que leur devis à cinq chiffres pour leur intervention “premium plus all-in” ne passait pas. Là, on quittait le militantisme pour devenir une entreprise. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. Alors oui, il y a des frais, du matos, des déplacements. Oui, l’argent est nécessaire. Mais la prévention, c’est pas une prestation de service.

Quand on t’appelle à l’aide, tu viens. Si tu peux pas, tu t’adaptes. Sinon, faut changer de métier. Si j’avais refusé tous les événements qui rapportaient pas un rond ou qui garantissaient pas un minimum de sécurité, j’aurais refusé tout le monde. Après, j’ai fini à genoux, mais l’idée reste : si tu viens pas, personne ne viendra. Ce sont les victimes qui comptent. Dire “je viens pas parce que le monsieur m’a pas fait un chèque, messieurs les agresseurs, vous êtes les bienvenus” : nope.

On est des personnes engagées, idéalistes peut-être, mais qui croient que la prévention, c’est une vocation, pas un marché. L’investissement est humain, pas monétaire. Ouais, je vous vois sourire, chers collègues, je m’en fous.

Le poids des grosses associations

Le problème, c’est que dans ce milieu, deux ou trois grosses assos font la loi. Je cite personne, j’ai déjà assez d’emmerdes, mais elles verrouillent tout. Elles ont les financements (qu’elles te diront qu’elles n’ont pas), les réseaux, et les appuis politiques. Elles prônent la professionnalisation du secteur, et je suis totalement pour, ça peut virer pas mal de charlatan·es. Mais si les règles sont écrites par ces assos omnipotentes, c’est mal barré. Dès qu’un·e nouveau·elle acteur·rice indépendant·e débarque avec une autre approche, gratuite ou bénévole, ça devient de la “concurrence déloyale”. Depuis quand on se fait concurrence pour aider les gens ? C’est comme si des éleveur·euses de bouledogues portaient plainte contre la SPA parce qu’elle donne des chiens gratos. On marche sur la tête.

Moi, j’avais choisi le bénévolat. Je facturais pas mes interventions. Si le festival pouvait défrayer le trajet et rembourser les produits distribués, tant mieux. Sinon, j’y allais quand même. Je bossais pas pour les orgas, je bossais pour les festivalièr·es. Contribution libre, don ou rien : la plupart du temps, c’était rien. Peu importait. Si la prévention devient un luxe, on a tout raté et on donne raison au Hellfest, au Motocultor et à tous ces vendeurs de safari musical ultra lucratif.

Et puis j’ai jamais touché un rond d’institutions, pas un centime de subventions, et pourtant on m’en a promis, plein, bullshit.

Sur le terrain, je récupérais souvent les dégâts laissés par les grosses structures : stands vides à 23 h, bénévoles recruté·es à l’arrache, horaires non respectés, ambiance d’usine, responsables bourrés. Les bénévoles se rendent compte qu’ils ou elles sont juste de la main-d’œuvre, non écouté·es, et décrochent. Là, on perd les motivé·es, les sincères, les engagé·es. Trouver des bénévoles a toujours été la galère. Ceux qui viennent n’ont pas toujours conscience que la prévention, c’est pas servir au bar ou déchirer les tickets. C’est un investissement, parfois marquant profondément.

J’ai vu ces pratiques, j’ai ramassé des bénévoles dégoûté·es par cet état d’esprit business. Plein d’organisations m’ont contacté, roulées dans la farine par les mêmes assos qui leur avaient vendu du rêve. Au final, elles ont bossé comme des amateur·ices. Et j’ai dû ramasser la merde, encore et encore.

Je dis pas que tout était pourri. Beaucoup ont commencé avec le cœur, et au fil du temps, la nécessité économique les a rattrapé·es. Mais entre vivre de son engagement et vendre son engagement, y’a une frontière. Beaucoup ont cessé de la voir.

L’accessibilité et la cohérence

Je comprends que les assos aient besoin de moyens. Mais quand elles refusent d’intervenir dans un petit festival parce qu’elles peuvent pas être payées, alors qu’elles prétendent lutter contre les violences sexistes, sexuelles ou les addictions, y’a un vrai problème de cohérence. La prévention, c’est pas une marque, ni une prestation “premium”. C’est humain, universel, accessible à tout·es, peu importe la taille du festival ou du porte-feuille. Les pompiers ou la Croix-Rouge demandent pas d’acompte pour intervenir.

De mon côté, j’ai continué autrement. Je proposais des sessions de sensibilisation gratuites, en ligne, ouvertes à tout le monde : organisateur·rices, bénévoles, festivalièr·es. La prévention appartient à tout le monde. Et à force de professionnaliser, certain·es ont oublié que c’est avant tout un acte de solidarité et de transmission.

Alors oui, il y a du business dans la prévention. Mais tant qu’il reste des gens pour la faire par conviction, par humanité, par envie d’aider, la vraie prévention existe encore. Accessible, sincère, ancrée dans le réel.

Portrait d’Olivier Jung

OLIVIER JUNG
Référent VSS/RDR. Supervision, formation et accompagnement des équipes bénévoles en milieu festif.

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