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Transmission sur les réseaux : écrire dans le désert

Transmission sur les réseaux : écrire dans le désert © Copyright Eclipshead

Écrire pour comprendre et transmettre : transmission sérieuse sur les réseaux

La veille active que je pratique dans le domaine de la prévention est une extension de mon travail de militant, une continuité de 25 ans passés dans la communication et le marketing. J’ai appris à vendre n’importe quoi à n’importe qui, mais la prévention, elle, n’intéresse personne. Du moins, pas dans sa forme sérieuse et réfléchie.

Les contenus de prévention qui fonctionnent réellement sont ceux de dénonciation immédiate : tous les #BalanceTonTruc, ou les slides écrits en gros caractères qui, en dix phrases, tentent d’expliquer un concept qui demanderait un exposé complet et minutieux. Ces formats abrégés, souvent autocensurés pour éviter le fameux shadow ban, l’algorithme qui “bannit dans l’ombre” tout contenu contenant des mots comme viol, drogue, guerre, fonctionnent parce qu’ils sont rapides, digestes, et provoquent des réactions instantanées. On peut alors se demander si ces créateur·rice·s cherchent vraiment à informer ou simplement à exister et à accumuler des likes.

La solitude de l’écriture et la visibilité limitée

Je suis un consommateur de contenu, j’ai vu la diversité du web : des vidéos de petits chats aux interviews de Stephen Hawking, tout existe, tout est accessible. Et pourtant, quand je poste sur des sujets essentiels : santé sexuelle, santé mentale, lutte contre les violences sexistes et sexuelles, réduction des risques, lutte contre l’extrême droite, presque personne ne réagit. Quelques likes, fidèles, mais si peu. Par contre, les contenus sensationnels ou polémiques attirent la foule. Les réseaux récompensent le drama, pas la réflexion. C’est statistique, c’est factuel, et c’est désespérant.

C’est un gavage consenti : consommer pour oublier, pour échapper à l’ennui. Combien d’entre nous ne communiquent plus que par des commentaires sur les réseaux ? Combien ont encore des conversations profondes autour d’un repas ? Cela provoque colère, tristesse et désespoir. Colère devant la facilité et le pré-mâché, tristesse pour celles et ceux dont les voix se perdent, désespoir face à des générations qui ont intégré ces standards comme norme.

Je vois aussi que la polémique crée le succès. Dans ma série FCK NZS, qui analyse les dérives néo-nazies dans le black metal, l’indignation des fachos génère plus de réactions que l’intérêt réel pour le sujet. Les messages privés de remerciement sont noyés sous un flot d’insultes. Les algorithmes valorisent les réactions, pas le contenu. Sans haters, pas de visibilité. Le sérieux devient invisible.

Mon engagement ne faiblit pas. J’étais militant avant les réseaux sociaux, avant Internet. Ce qui m’inquiète, c’est la censure volontaire que s’imposent certain·e·s : remplacer les mots viol, guerre ou génocide par des codes ou des initiales. À force de ne plus les prononcer, on en perd la force, le sens. Je refuse cette dilution. Ces mots existent pour être dits et compris, pas pour disparaître derrière des précautions algorithmiques.

Ma méthodologie d’écriture est née de l’expérience et de l’adaptation. J’ai commencé tardivement, par les paroles de chansons, puis de petites nouvelles, avant d’aborder les sujets qui me passionnent aujourd’hui. Je lis peu de livres, mais beaucoup d’articles scientifiques et de presse. L’intelligence artificielle est devenue un outil précieux : elle m’aide à structurer mes textes, corrige mon orthographe catastrophique et, comme un rédacteur en chef, pointe les failles et les incohérences une fois le travail terminé. Pour approfondir mes sujets, je m’interviewe moi-même à travers elle, parfois pendant des heures, afin d’explorer chaque angle possible. L’IA peut être un censeur ou un avocat critique, mais l’écriture reste entièrement mienne. Ce processus me permet de repousser mes limites.

Persister

Je ne poursuis pas les likes. Ce qui m’intéresse, c’est que ce que j’écris touche au moins quelqu’un·e, même une seule personne, et j’ai des discussions passionnantes avec des parfait·e·s inconnu·e·s, des débats et des partages d’idées. Mais j’ai supprimé la possibilité de commenter mes posts : c’est une question d’hygiène mentale, mes sujets attirant trop de haters bas du front. Je préfère le face-à-face.

La solitude est réelle, mais je ne me sens pas isolé. Je découvre des comptes passionnants, mais invisibles, noyés sous des contenus superficiels. L’Internet est devenu un lieu de paraître, de spectacle et de voyeurisme. La visibilité réelle exige de jouer le jeu, mais je refuse de céder. Mon site et mes articles sont mon espace, où je conserve liberté et rigueur. Les réseaux sont un rabatteur vers ce lieu de réflexion, pas une fin en soi.

Il existe un paradoxe cruel : écrire pour soi et pour transmettre, tout en cherchant une reconnaissance éphémère dans un système qui déforme la valeur des contenus. Passer quatre jours sur un article pour trois likes reste frustrant. Pourtant, je persiste. Je continue parce que ce que je fais a de la valeur, même si elle est invisible pour la majorité. Le militantisme sur les réseaux, sans action réelle sur le terrain, est un simulacre. Le vrai travail se fait ailleurs, mais pour exister, il faut franchir la vitrine des plateformes.

Cette tragédie des contenus éphémères et dénués de réflexion est la réalité de notre époque. Et elle pose une question essentielle : jusqu’où peut-on résister à la logique de spectacle sans disparaître totalement de la visibilité ? Jusqu’où peut-on rester fidèle à l’éthique et à la profondeur, tout en participant à un monde qui valorise le superficiel et le sensationnel ?

Pour moi, la réponse est claire : la qualité, la rigueur, la transmission valent plus que les likes. Même dans le désert, je continue d’écrire, de documenter, d’analyser. Parce que la réflexion, même minoritaire, a un sens. Et céder au paraître serait trahir le fond même de mon engagement.

Portrait d’Olivier Jung

OLIVIER JUNG
Référent VSS/RDR. Supervision, formation et accompagnement des équipes bénévoles en milieu festif.

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