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Varg Vikernes : FCK NZS – Episode 4

Là où certain·e·s artistes de la scène extrême se contentent de provocation ou d’esthétique sombre, Varg Vikernes incarne une réalité bien plus dangereuse : celle d’un néonazi convaincu, dont les actes criminels et les discours haineux ont marqué à jamais l’histoire du black metal. Mais avant d’aller plus loin, il est essentiel de définir ce que j’entends par « nazi ». Pour moi, ce terme ne se limite pas à une insulte facile ou à une référence historique lointaine. Un·e nazi·e, c’est quelqu’un·e qui cumule racisme, antisémitisme, homophobie, transphobie, validisme, et toutes les formes de discriminations systémiques, en en faisant non pas des opinions isolées, mais un système de pensée cohérent et assumé.

Il existe, à mes yeux, deux catégories de nazi·e·s. D’abord, les « nazillons », majoritaires, qui réduisent l’Holocauste à un « détail historique », arborent des symboles nordiques sans en comprendre le sens, et se contentent de reproduire des codes esthétiques sans profondeur idéologique. Ce sont les suiveur·euse·s, les opportunistes, celleux que ma grand-mère aurait qualifié·e·s de « bas du front ». Puis, il y a les vraies figures néonazies, celleux qui structurent leur vision du monde autour de la haine et de la suprématie blanche. Varg Vikernes appartient sans conteste à cette seconde catégorie. Son projet Burzum n’est pas seulement une aventure musicale, mais l’exemple parfait de la manière dont une sous-culture peut devenir le vecteur d’une idéologie mortifère, et de la complaisance dont bénéficient encore ces idées au sein même de la scène metal.

Les racines du mal

Pour comprendre Varg Vikernes, alias Count Grishnackh, il faut remonter aux origines du black metal norvégien et, en particulier, à l’histoire de Mayhem, un groupe dont la genèse remonte à 1984 avec Jørn Stubberud (Necrobutcher) et Kjetil Manheim, initialement sous le nom de Musta (« noir » en finnois), avant qu’Øystein Aarseth (Euronymous) ne rejoigne le groupe et ne leur donne le nom de Mayhem. En 1988, Dead (Per Yngve Ohlin) arrive au chant et Hellhammer (Jan Axel Blomberg) à la batterie. Dès ses débuts, Mayhem se distingue par une esthétique et une idéologie radicales : concerts provocateurs, décors macabres et anti-christianisme viscéral.

En avril 1991, Dead se suicide en se tirant une balle dans la bouche après s’être entaillé les poignets. Varg Vikernes lui avait fourni les cartouches de son fusil. Euronymous, qui découvre le corps, prend des photographies de la scène avant d’appeler la police. L’une de ces images, montrant le visage défiguré de Dead, sera plus tard utilisée pour illustrer la pochette de la compilation Dawn of the Black Hearts, publiée en 1995 chez Warmaster Records. La frontière entre provocation artistique et glorification de la mort s’efface.

Le 10 août 1993, Varg Vikernes poignarde Euronymous à mort dans son appartement d’Oslo. Les motifs exacts de ce meurtre restent flous, mêlant conflits personnels, rivalités musicales et désaccords idéologiques. Vikernes sera condamné à 21 ans de prison en Norvège. Mais ce meurtre n’est qu’un épisode parmi d’autres dans une série d’actes violents qui vont marquer la scène black metal norvégienne. Parmi eux, les incendies d’églises, auxquels Varg participe activement. En juin 1992, il met le feu à la Fantoft Stave Church, un édifice historique de Bergen, avant de s’attaquer à d’autres lieux de culte.

D’un point de vue plus personnel, j’ai toujours été un grand fan de De Mysteriis Dom Sathanas, sorti chez Deathlike Silence Productions en 1994. Cette pochette est à la fois effrayante et fascinante : on a envie de comprendre ce qu’elle évoque. J’ai même eu un sweat à son effigie, acheté avec fierté lors de la tournée des 30 ans de l’album, aux côtés du moins sulfureux groupe Watain. Je les ai vus plusieurs fois, avec un regard informé et conscient de ce que je regardais. Je ne peux pas nier ma fascination morbide à l’époque : un mélange de gêne et d’excitation, qui était finalement malsain. Aujourd’hui, je n’écoute plus Mayhem, pour plusieurs raisons. D’abord, ce groupe a été ma porte d’entrée dans le black metal, et depuis, j’ai affiné mes goûts dans un genre incroyablement riche. Ensuite, il y a trop de connivence de la part du groupe : ils en sont à un point où ils n’ont plus rien à prouver, et c’est là le problème. On ne peut plus attendre d’Attila Csihar un éventuel mot d’excuse pour toutes les saloperies qu’iel·s ont laissé passer au fil des années.

La musique comme arme idéologique

Varg Vikernes lance Burzum en 1991. Le nom lui-même, tiré du Black Speech de Tolkien, signifie « ténèbres », et reflète l’atmosphère obscure et mystique que Varg cherche à créer. Musicalement, Burzum se distingue par un black metal minimaliste, hypnotique, aux sonorités répétitives et à la production volontairement lo-fi.

Filosofem (Misanthropy Records, 1995) est un album que j’ai écouté en boucle, personne n’est parfait. Probablement l’album le plus naïf et le plus « safe » de Burzum : textes simples, artwork dépourvu de tout symbole problématique. Je me suis pardonné de l’avoir écouté, mais à l’époque j’ignorais beaucoup de choses.

Les paroles de Varg explorent des thèmes comme la mythologie nordique, le paganisme, la solitude, et une vision du monde profondément raciste et antisémitique. Contrairement à d’autres artistes qui séparent leur art de leurs convictions personnelles, Varg utilise Burzum comme un outil de propagande. Ses albums, enregistrés même depuis sa cellule, diffusent une idéologie néo-païenne et suprémaciste, où la « pureté européenne » est célébrée et les « métissages » dénoncés comme une dégénérescence.

Pendant son incarcération, qui durera 16 ans sur les 21 auxquels il a été condamné, Varg ne renonce pas à ses idées. Bien au contraire : il enregistre plusieurs albums depuis sa cellule, écrit des textes, et continue de diffuser ses convictions extrémistes. Sa prison ne l’a pas réhabilité, elle a contribué à en faire un mythe, un martyr pour les milieux néonazis.

Propagande

Libéré en 2009, Varg s’installe en France, en Corrèze, avec sa compagne Marie Cachet. Loin de renoncer à ses idées, il les amplifie et les modernise. Dès 2012, il lance sa chaîne YouTube Thulean Perspective, où il développe ses thèses racistes, antisémites et conspirationnistes. Il y prône un retour à une Europe « pure », rejette le christianisme et attaque les « valeurs modernes ».

En 2014, Varg est condamné en France pour incitation à la haine raciale, après avoir publié des contenus explicitement néonazis. Sa chaîne YouTube est finalement supprimée en 2019 pour violation des politiques de contenu, mais il migre rapidement vers des plateformes alternatives comme BitChute, Telegram et TikTok, où il continue de toucher un public jeune et influençable. Parallèlement, il crée le jeu de rôle MYFAROG, où il intègre des éléments ouvertement racistes, décrivant certaines « races » comme « sales » et « animales ». Ces initiatives montrent que Varg ne se contente pas de diffuser ses idées : il les institutionnalise, les rendant accessibles et attractives pour de nouveaux·elles adeptes.

« La politique, la culture, la société, tout cela est interconnecté. Vous ne pouvez pas changer un aspect sans affecter les autres. L’Occident a perdu son chemin. Nous avons oublié nos racines, nos traditions, notre identité. Les civilisations qui ont oublié leur passé sont condamnées à l’échec. » (burzum.org, 2004)

« En Norvège, les terroristes sataniques, un groupe sinistre de adorateurs du diable néo-fascistes, brûlent des églises jusqu’au sol. Je crois que le nationalisme est une bonne chose. Il est important de préserver notre culture et nos traditions. L’Europe doit se réveiller et retrouver ses racines. » » (Kerrang!, 1993)

« Je ne suis pas religieux de manière conventionnelle, mais j’ai une idéologie et des valeurs païennes. Je crois en la lignée, la terre et l’honneur; en la famille, la patrie et en hamingja* en la force, les traditions et le courage. Je crois en une Europe qui se réveille. » (Vampiria Magazine, 2010)

* Le terme hamingja utilisé par Varg Vikernes fait référence à un concept de la mythologie nordique. Il désigne la fortune, la chance ou la protection spirituelle qui accompagne une personne, une famille ou une lignée. Dans ce contexte païen, la hamingja symbolise la prospérité et la protection transmises de génération en génération, et reflète l’importance des racines, de la famille et de la tradition dans la vision du monde de Vikernes.

Anders Behring Breivik

En 2013, Varg est arrêté en France sous suspicion de préparation d’attentat. Les autorités découvrent qu’il a reçu le manifeste de Anders Behring Breivik, l’auteur des attentats de 2011 en Norvège, qui ont fait 77 morts. Bien qu’aucune preuve de complicité ne soit établie, les parallèles entre les deux hommes sont frappants.

Breivik, comme Varg, est un suprémaciste blanc obsédé par la « pureté européenne ». Son manifeste, 2083: A European Declaration of Independence, appelle à la déportation des musulman·e·s et au renversement des gouvernements « multiculturels ». Varg, de son côté, a toujours glorifié la violence comme moyen de « défense » de l’identité européenne. S’il n’a jamais explicitement soutenu les actes de Breivik, leurs idéologies se rejoignent : rejet de l’islam, haine du féminisme, et culte d’une Europe ethniquement homogène.

La complaisance de la scène metal

Malgré ses crimes et son idéologie, la musique de Burzum continue d’être diffusée, vendue et célébrée. Des labels commercialisent ses albums, et son merchandising circule librement dans les festivals et les boutiques spécialisées.

Cette tolérance s’explique par plusieurs facteurs : d’abord, beaucoup de fans écoutent Burzum pour son atmosphère unique, en ignorant ou minimisant les convictions de Varg. Ensuite, la violence et la radicalité de Varg sont parfois romantisées, comme si son statut de criminel ajoutait une dimension « authentique » à sa musique. Enfin, peu de labels ou distributeurs osent boycotter Burzum, par peur de pertes financières ou par indifférence idéologique, dans les deux cas c’est inacceptable. En tolérant Varg, la scène metal a involontairement créé un espace où l’extrémisme peut prospérer sous couvert de « liberté artistique ». Pire encore, son image a été détournée par la culture internet : les mémes représentant son sourire lors de son procès effacent le contexte de ses actes. Varg devient ainsi une icône pop de l’extrémisme.

Le black metal n’a pas besoin du fascisme pour exister

L’histoire de Varg Vikernes est un avertissement. Elle montre comment une scène musicale, aussi marginale soit-elle, peut devenir le terreau de radicalisations dangereuses. Elle rappelle aussi que l’art n’est jamais neutre : il porte les valeurs de son créateur, et peut servir de vecteur à des idéologies mortifères.

Il est important de saisir la dangerosité de cet homme : son histoire en témoigne, mais son œuvre aussi. Ici, il ne s’agit pas de séparer l’homme de son « art » : Varg Vikernes est largement idéalisé, mais il a publié une cinquantaine de livres, dont trois autobiographies, sorti 18 albums sous son nom, et été crédité sur plus de 200 autres, et il continue. Chacun de ses supports véhicule un appel à la haine : il crée l’offre, et la demande est colossale. C’est finalement ce qu’il faut retenir de cet épisode. Cet homme aurait pu passer 16 ans en prison et retourner à l’anonymat. Mais non : ce sont ses fans, celleux qui arborent fièrement son visage juvénile et souriant à l’écoute de sa sentence, qui achètent sans problème sur les étals des metal markets des patchs Burzum et les ajoutent fièrement à leur battle jacket. Pourquoi ? Demandez-leur. Moi, j’ai arrêté.

Le black metal a toujours été un genre extrême, provocateur et transgressif et c’est ainsi que je l’aime. Il a exploré les ténèbres, la mort, et la rébellion contre les normes sociales. Mais il n’a jamais eu besoin du racisme, de l’antisémitisme, ou du néonazisme pour exister.

La liberté artistique ne peut servir d’alibi à la propagande fasciste. Le black metal mérite mieux que d’être associé à un criminel. Et ses fans méritent mieux que d’être les complices involontaires d’une idéologie meurtrière. La scène underground a toujours été un lieu de résistance et de contre-culture. Ne la laissons pas devenir un repaire pour la haine.

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