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Libération du corps féminin : réflexions depuis le terrain

Libération du corps féminin : réflexions depuis le terrain

Corps, liberté et regard collectif

Observant les clips, les concerts et les tenues, je remarque Katy Perry, Lady Gaga, Dua Lipa, Rosalía, et bien avant elles Madonna ou Diana Ross. Toutes ces artistes ont choisi l’hypersexualisation comme partie intégrante de leur image. Sur scène, elles portent des tenues légères, de la lingerie, parfois des déguisements équivoques. Il ne s’agit pas de juger, ce sont leurs choix, et je les respecte. Mais je me demande pourquoi. Pourquoi tant de femmes artistes choisissent-elles de se montrer ainsi ? Est-ce vraiment une manière d’affirmer leur libération du corps féminin et leur autonomie ? Ou une manière de répondre à une attente sociale, à une norme : celle d’un corps féminin toujours visible, séduisant, consommable ?

Ces questions dérangent. Les poser risque de faire passer pour un·e vieux·vieille réac, pour quelqu’un·e qui ne comprend pas la “libération” des corps. Pourtant, il ne s’agit pas de morale, mais de symbolique. Quand toutes, ou presque, adoptent les mêmes choix esthétiques, il est difficile de croire que ce soit un hasard ou seulement une revendication individuelle. Alors, s’agit-il d’une provocation, d’un message féministe, ou simplement d’un voyeurisme bien intégré dans notre culture ?

Libération du corps féminin ou conditionnement ?

Un exemple concret m’est venu cet été, lors d’un festival où j’intervenais en prévention. Un groupe de personnes est arrivé·e sur le site : les hommes, en string et nœud papillon, les femmes, seins nus, en culotte, avec des chaînes autour du cou. La mise en scène du corps mêlait nudité et esthétique sado-masochiste, pas le confort. J’ai demandé à la sécurité d’intervenir et d’inviter ces personnes à se rhabiller un minimum. Le festival se voulait familial et il n’était pas question d’imposer ce type d’image à des enfants. Il ne s’agissait pas de censure ni de pudeur mal placée, juste d’adapter au contexte. Dans une free party interdite aux mineur·e·s, ce comportement aurait été acceptable. Mais là, non. Pour éviter toute critique, j’aurais fait la même chose si cela avait concerné uniquement les hommes en strings.

Cette situation m’a fait réfléchir : pourquoi un homme torse nu ne choque personne, alors qu’une femme dans la même situation déclenche immédiatement la polémique ? En France, aucune loi n’interdit explicitement aux femmes de montrer leurs seins dans l’espace public. Cependant, selon le contexte, ce geste peut être interprété, à tort ou à raison, comme une “exhibition sexuelle” au sens de l’article 222-32 du Code pénal (source : Légifrance). En pratique, la perception sociale reste asymétrique : un torse masculin est perçu comme neutre, tandis qu’un torse féminin reste chargé de pudeur et de désir. La pudeur, dans ce cas, est à sens unique. Notre société a toujours représenté la femme comme un produit de désir, là où l’homme incarnait la force, l’intelligence et la maîtrise. Ces siècles d’images et de récits ont façonné un imaginaire collectif qui contrôle encore le corps féminin.

Le dilemme du terrain

Je me retrouve souvent pris entre deux feux. En tant que responsable de prévention, il m’arrive d’être consulté sur ce genre de situation : une femme seins nus sur un site de festival, que fait-on ?

Je ne cache pas que c’est l’un des moments les plus délicats de mon travail. D’un côté, je souhaite respecter la liberté et éviter de reproduire les logiques de contrôle. De l’autre, je sais exactement comment certain·e·s la regarderont, la jugeront, la sexualiseront. Si un incident survient, c’est elle qu’il faudra protéger, pas eux. Par précaution, je choisis la sécurité. Et quand je lui demande de se rhabiller, je passe pour le sexiste, alors qu’en réalité, je fais juste ce que je peux pour éviter qu’elle ne devienne une cible.

Cette action se fait en pleine conscience, et elle est frustrante. Je voudrais vivre dans une société où une personne femme pourrait être seins nus sans risquer insultes, photos ou harcèlement sur le site. Mais cette société n’existe pas encore, et je dois composer avec la réalité.

Bien que je sois déconstruit autant que possible, je reste un homme né dans les années 80, élevé dans une société profondément sexiste. Certains réflexes persistent. J’en ai conscience et je les combats. Mais il ne s’agit pas de moi ici, mais de la sécurité et du droit de ces femmes à exister autrement que sous le regard des autres.

Le regard avant le vêtement et la libération du corps féminin

Le vrai problème ne réside pas tant dans ce que les femmes montrent, mais dans la manière dont on les regarde. Les femmes ont le droit de s’habiller comme elles le souhaitent, c’est un droit fondamental. Cependant, tant que les esprits ne sont pas préparés, cette liberté rencontre des murs de préjugés, d’interprétations et de violences symboliques. La libération du corps, qu’on croyait acquise dans les années 70, vacille. Les religions, le masculinisme, la peur du désir et l’ignorance reprennent de la force sous couvert de morale. Pendant ce temps, la société continue à sexualiser les femmes dès leur plus jeune âge, tout en leur reprochant d’être sexualisées.

Une réflexion nécessaire

Je ne détiens pas la vérité, je cherche à comprendre. Je suis un professionnel de terrain qui fait de la prévention et tente de réduire les risques afin d’éviter qu’une nuit de fête se transforme en cauchemar. Je préférerais ne jamais avoir à réconforter une jeune fille agressée par une personne aux idées archaïques. Mais tant que la société arbitre la liberté des femmes, le combat ne sera pas terminé.

La véritable libération ne viendra pas de la nudité ni des vêtements, mais du regard collectif que l’on porte sur les corps et la féminité. Tant que ce regard reste déformé, biaisé et violent, il faudra continuer à poser ces questions inconfortables, non pas pour juger, mais pour comprendre.

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